Comment sont sélectionnés les logements HLM à vendre ? Un éclairage sur la marchandisation de l’habitat social

Par Yoan Miot et Cécile Vignal (Équipe LATTS - Clersé)

La vente de logements sociaux constitue une forme de marchandisation d’un bien public ou para-public. En effet, le logement social appartient soit à des offices publics de l’habitat (OPH), soit à des entreprises sociales de l’habitat (ESH) dont les prix de mise en location sont « administrés » (Eloire et al., 2021) et dont l’activité ne génère pas de dividendes. Il s’agit donc d’un processus de transformation d’un bien en marchandise au cours duquel les acteurs agissent désormais comme vendeurs et acheteurs (Dubuisson et Quellier, 1999). Ce processus est renforcé par la loi ELAN (2018) qui assouplit le processus de mise en vente en laissant aux organismes de logements sociaux la possibilité de fixer les prix de vente et en ouvrant plus largement le public pouvant acquérir un logement HLM.

Dans cette perspective, un des axes de la recherche que nous conduisons dans le cadre du programme cherche à caractériser les stratégies et les pratiques de vente des bailleurs sociaux pour mieux comprendre comment un logement public ou parapublic devient un bien de marché.

Pour ce faire, une enquête a été menée en région Hauts-de-France auprès de 32 professionnels de la vente de logements sociaux appartenant à cinq organismes différents : trois OPH et deux ESH. Les personnes en charge de l’élaboration de la politique de vente ainsi que les professionnels en charge de la vente aux acquéreurs ont été rencontrés. Une enquête auprès de 10 élus et techniciens de collectivités locales vient par ailleurs interroger le rôle des pouvoirs publics dans ce processus. Enfin, une analyse quantitative de l’ensemble des ventes effectuée depuis 2009 a été menée.

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(c) Alice Delalande / USH

Notre enquête révèle tout d’abord l’importance de l’activité de sélection des biens en amont de la mise en vente. Cette sélection repose en premier lieu sur l’élaboration d’une stratégie, le plus souvent formalisée dans un « plan stratégique de patrimoine » (PSP) ou une « convention d’utilité sociale » (CUS), documents par ailleurs obligatoires. On y découvre que les organismes de logements sociaux poursuivent des objectifs différenciés qui les distinguent selon deux pôles opposés. Pour certains, principalement les OPH, la vente est avant tout un moyen de compenser les effets de la réforme de la réduction du loyer de solidarité qui vient diminuer leurs ressources financières, tandis que, pour d’autres, les ESH en particulier, la vente est un outil au service du développement de l’offre et de conquête de nouveaux marchés résidentiels. Entre ces deux pôles opposés, des stratégies mixtes existent. Les organismes font par ailleurs tous face à un conflit normatif entre les objectifs de la vente HLM : comment, notamment, tenir des objectifs d’accession à la propriété des ménages modestes lorsque, face aux politiques d’austérité, la vente doit générer les revenus les plus importants possibles ?

A l’observation, il apparaît que la sélection des biens à vendre s’effectue selon des critères communs aux cinq organismes enquêtés. Le premier critère, et le plus important, est celui de la valeur nette comptable qui conduit à cibler prioritairement les logements dont les prêts contractés lors de la construction sont largement remboursés et dont la vente pourra générer la plus forte plus-value. Le second critère est ensuite le peuplement de la résidence. L’objectif est d’évaluer la capacité des locataires à acheter le logement ou à le quitter, mais également l’attractivité de l’environnement social des résidences pour les acheteurs afin d’éviter les conflits de voisinage et les dysfonctionnements au sein des copropriétés. Un troisième ensemble d’éléments guidant la sélection repose sur des logiques gestionnaires. La cession, dans cette perspective, peut être un moyen de régler des difficultés de gestion : logements dispersés sur le territoire, trop forte présence dans un quartier, difficultés de mise en location, limitation du service locatif en raison d’un trop faible taux de rotation, etc. Viennent ensuite un ensemble de critères liés au bâti, mêlant des critères réglementaires (diagnostic de performance énergétique, ancienneté de la construction, etc.) et patrimoniaux (état foncier et état du bâti). Ces critères jouent finalement peu car des travaux d’amélioration énergétique, tout comme une clarification foncière et la création d’une copropriété, peuvent être effectués. 

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(c) Alice Delalande / USH

Notre enquête montre ensuite que l’application de ces différents critères par les bailleurs sociaux conduit à trois grandes logiques de sélection de biens. Dans le marché tendu de l’agglomération de Lille, les biens vendus sont avant tout des logements anciens, amortis, aux loyers peu élevés, et localisés dans des espaces valorisés ou en cours de valorisation. Sur ce territoire, 46% des logements sociaux ont des loyers inférieurs au PLUS, 40% se situent dans des quartiers disposant d’une faible offre sociale, dont des communes soumises à l’article 55 de la loi SRU, et dont les prix de marché sont supérieurs à la moyenne de l’agglomération. Dans les marchés détendus du département de l’Aisne, les organismes poursuivent deux logiques complémentaires. D’un côté, on constate une vente importante de logements difficilement louables, situés de manière diffuse dans des communes rurales, ou de logements PLS souvent marqués par une forte vacance. A ce titre, 66% des logements ont des loyers supérieurs au PLUS et 18% se situent dans de petites communes rurales situées en dehors d’aires urbaines. De l’autre, les organismes vendent le patrimoine le plus valorisable, à savoir des maisons individuelles (79% des ventes), dans des secteurs valorisés où l’offre sociale est faible.

Ce processus de sélection du patrimoine à céder résulte d’un travail collectif d’abord réalisé au sein même des organismes de logements sociaux. Si des professionnels sont dédiés à cette activité, principalement issus d’écoles de commerce et ayant connu précédemment une carrière dans le secteur privé, l’activité se fait en étroite interaction avec les directions de la gestion locative, du marketing et celle du patrimoine. La sélection des biens à mettre en vente est également le fruit d’un « travail partenarial » avec l’Etat, les intercommunalités et les communes. Cependant, la réforme de la loi ELAN a clairement affaibli le rôle des collectivités. D’un processus de construction commune avec les collectivités locales jusqu’à la loi ELAN, l’enquête révèle un glissement plaçant les élus locaux et leurs administrations publiques en situation de réception d’informations, et non d’association aux stratégies de vente. À plusieurs reprises, nos enquêtés de divers organismes de logements sociaux ont mentionné le fait d’être passé outre les avis négatifs des communes. Cet affaiblissement du « partenariat » avec les collectivités locales est surtout le fait des ESH tandis que les OPH, par la nature même de leur fonctionnement, prennent plus fortement en compte les avis de leur tutelle.

 

Références :

Dubuisson-Quellier, (1999). "Le prestataire, le client et le consommateur: Sociologie d'une relation marchande." Revue française de sociologie, pp. 671-688.

Eloire, F., & Finez, J. (2021). Sociologie des prix. La Découverte.

Parole aux chercheurs

Contacts

Bruno Marot, responsable des partenariats institutionnels et de la recherche, coordinateur du Réseau des acteurs de l’habitat, l’Union sociale pour l’habitat

François Ménard, responsable de programme de recherche au Plan urbanisme, construction, architecture

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