« L’objectif de mixité sociale de la vente Hlm sera difficilement au rendez-vous »

Professeur à l'Ecole d'urbanisme de Paris (Université Paris-Est Créteil), Jean-Claude Driant commente quelques résultats présentés par les cinq équipes de recherche sur la vente Hlm lors du séminaire du 30 juin 2022. Il revient notamment sur le phénomène de mixité sociale temporaire relevé par les études.

D’une manière générale que vous inspirent les premiers résultats du programme de recherche présentés lors du séminaire ?

Je voudrais d’abord rendre hommage aux initiateurs du programme et aux équipes de recherche dont les travaux font progresser nos connaissances sur la vente Hlm. Jusqu’à présent, les données de recherche les plus récentes dont nous disposions émanaient d’études effectuées il y a une trentaine d’années. Ensuite, je constate que les résultats intermédiaires annoncés au séminaire, même s’ils réservent parfois des surprises, sont dans l’ensemble conforment aux hypothèses sous-jacentes à la définition du programme de recherche ainsi qu’aux projets des équipes de chercheurs. L’intérêt de ces études est aussi de documenter et de confirmer ces hypothèses qui étaient dans l’air du temps. Enfin, les travaux entrepris mettent en évidence une amélioration des outils statistiques identifiant plus précisément quels logements se vendent, à quel prix et où. C’est un progrès significatif par rapport aux données dont nous disposions il y a seulement quelques années.

Vous attendiez-vous à ce que la vente Hlm produise une mixité sociale temporaire ?

Ce n’est pas vraiment une surprise mais le regard rétrospectif que porte la recherche sur des opérations de ventes lancées depuis de nombreuses années en Ile-de-France vient documenter et quantifier ce phénomène. Quand un bien réglementé comme le logement Hlm est transformé puis mis sur le marché, il devient un bien marchand qui peut, de ce fait, s’insérer dans une dynamique de valorisation patrimoniale et de gentrification. Notamment dans les secteurs en tension comme ceux de la première couronne francilienne où les coûts des logements sont si élevés qu’ils ne peuvent être acquis que par des ménages disposant de revenus consistants. Il serait intéressant à cet égard de voir comment évolue la mixité sur des marchés moins tendus et détendus où les prix d’acquisition sont bien moindres. Sur ces marchés, on peut s’attendre à ce que les acquéreurs soient des ménages à plus faibles revenus avec un objectif de sécurisation et de stabilisation de leur statut résidentiel. On peut également s’attendre à ce que les ménages à revenus plus élevés y soient peu intéressés par l’achat d’un logement Hlm donnant peu de possibilités de valorisation. Ces tendances ne plaident pas en faveur d’une augmentation de la mixité sociale par la vente.

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(c) Rafet Bellalouna

Le dispositif du bail réel et solidaire (BRS) pourrait-il endiguer ce phénomène de mixité temporaire ?

En rendant impossible la réalisation de fortes plus-values le BRS constitue un moyen d’éviter les effets spéculatifs et peut être considéré comme un outil favorable à la mixité sociale. Mais se pose la question de son appétence pour toutes les typologies d’acquéreurs. Le BRS constitue une forme de propriété limitée que les ménages les mieux dotés financièrement, inscrits dans une logique de valorisation, risquent de bouder. Son effet en termes de mixité ne serait donc pas assuré. En tout état de cause, le recours à ce dispositif est un choix politique visant à vendre des logements Hlm tout en dissuadant la spéculation.

Le fait que les locataires Hlm acquéreurs de leur logement ou d’un autre logement social soient minoritaires est-il une surprise ?

En effet, je ne m’y attendais pas. Le profil des acquéreurs identifié par les chercheurs est plutôt celui d’un primo accédant classique. Mais en y réfléchissant, cela s’explique très bien par la paupérisation des locataires Hlm maintes fois constatée ces dernières années. Sur les marchés tendus, les prix des logements, même décotés de 20%, restent trop élevés au regard de leur possibilité de remboursement des crédits bancaires. Le relèvement des taux d’intérêt ne va rien arranger et même si une baisse des prix de l’immobilier s’amorçait, elle serait progressive et ne compenserait pas forcément la hausse des taux. Surtout sur les marchés tendus. Là encore, on peut dire que l’objectif de mixité sociale de la vente Hlm sera difficilement au rendez-vous.

Parmi les sujets qui mériteraient un approfondissement, lequel retient d’abord votre attention ?

Il y en a plusieurs, mais l’une des recherches soulève une question et une inquiétude liées au nombre relativement faible de locataires Hlm acquéreurs. Cela constitue une difficulté pour les bailleurs qui doivent attendre que les logements soient libérés avant de les vendre. Cela pourrait les inciter à chercher à accélérer la rotation en proposant à leurs locataires des solutions de relogement acceptables. Ces démarches peuvent s’avérer vertueuses pour les locataires en attente de mutation, mais peuvent aussi laisser craindre que d’autres soient soumis à des pressions excessives pour libérer leur logement.

 

Propos recueillis par Victor Rainaldi

«Trois questions à...»

Contacts

Bruno Marot, responsable des partenariats institutionnels et de la recherche, coordinateur du Réseau des acteurs de l’habitat, l’Union sociale pour l’habitat

François Ménard, responsable de programme de recherche au Plan urbanisme, construction, architecture

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